Historique





UNE PREMIÈRE MONDIALE



Après sa journée de travail à la Bibliothèque des Sciences de la Santé de l’Université de Sherbrooke, Germain Chouinard passait des heures à faire des recherches dans la Bible. Il désirait trouver les réponses à des questions que son épouse Anita et lui se posaient depuis longtemps sur l’enseignement religieux qu’ils avaient reçu. Cependant, quand il voulait retrouver dans le volumineux texte biblique les passages dont il se rappelait, il n’arrivait pas à les localiser facilement. Étant microbiologiste et spécialiste en science de l’information biomédicale, il connaissait bien les instruments de référence imprimés pour localiser les informations scientifiques dont les médecins et les chercheurs avaient besoin. Il désirait se procurer un tel type d’ouvrage, conçu spécialement pour scruter et approfondir le texte biblique.

Le résultat de son exploration n’a pas donné ce qu’il espérait. En 1974, en français, autant en Europe qu’en Amérique, il n’avait trouvé que deux titres disponibles: L’un permettait seulement des recherches dans le texte du Nouveau Testament (vingt-cinq pour cent de la Bible), alors que l’autre ne recensait que le tiers de tout le texte biblique. Aucun instrument en français, peu importe la version de la Bible, ne recensait l’ensemble complet des mots significatifs. Il se disait : « Je ne peux pas concevoir qu’un tel ouvrage n’existe pas encore en français! »

Devant l’absence d’un tel outil pour étudier les Saintes Écritures, il s’était mis à analyser la faisabilité d’en éditer un à l’aide d’un ordinateur central. Encouragé par son épouse et des amis, il avait mis quelques idées sur papier et était allé consulter un analyste du Service informatique de l’université. Ce dernier était très étonné, mais aussi très emballé par un tel projet. En effet, son département espérait faire autre chose que de manipuler des colonnes de chiffres avec un ordinateur aussi puissant que celui dont il disposait. Traiter des textes pour produire une concordance de la bible par informatique était très intéressant pour eux. L’expérience acquise servirait, par la suite, à toute la communauté universitaire ainsi qu’à ce secteur en développement. Selon lui, ce projet était à la limite des connaissances et de la technologie de l’époque, mais réalisable.

Germain était enthousiasmé à l’issu de cette première rencontre. Son épouse Anita et lui se sont mis à faire les démarches nécessaires pour réaliser cet ambitieux projet. Peu de temps après, il a appris qu’une autre personne de son église s’intéressait depuis longtemps au besoin d’une concordance. Vingt ans auparavant, au début de son ministère en 1955 au Québec, Jack Cochrane s’était rendu compte qu’une concordance complète de la Bible française – instrument indispensable pour l’étude biblique – n’existait pas. Le Seigneur lui avait mis à cœur de combler cette lacune, mais les responsabilités familiales et professionnelles l’avaient empêché d’entreprendre un projet aussi imposant. En attendant de pouvoir le faire, il avait analysé la manière d’élaborer une concordance et il avait fait des ébauches de ce qu’il aimerait retrouver dans cet ouvrage. C’est à cette période qu’il a rencontré Germain Chouinard. C’était providentiel d’avoir deux personnes fréquentant la même église, travaillant à la même université et ayant toutes les deux le fardeau de produire une concordance. Un vrai miracle !

Germain lui a expliqué les démarches entreprises auprès du Service informatique pour réaliser ce défi. Jack était très heureux que son grand rêve puisse se concrétiser enfin; il a accepté avec joie de se joindre à l’équipe. Avoir un associé aussi qualifié que lui – maître en théologie du Dallas Theological Seminary, maître en linguistique de l’Université de Sherbrooke et professeur d’expérience à l’Institut biblique Béthel, au Séminaire baptiste évangélique du Québec (SEMBEQ) et à l’Université de Sherbrooke – était une grande bénédiction. Ensemble, ils étaient retournés rencontrer l’analyste en informatique afin d’établir un plan de travail et d’évaluer les coûts approximatifs pour réaliser ce grand projet.

Pendant que Jack faisait des recherches pour déterminer quelle version Segond nous allions utiliser pour produire la concordance, Germain et son épouse cherchaient des fonds pour financer le projet. Il fallait environ cinquante mille dollars pour faire le travail. C’était un montant énorme, presque impossible à trouver, surtout dans les années 70. La requête a été mise devant Dieu, puisque, les miracles, c’est sa spécialité. Nous avons fait connaître le besoin autour de nous. Entre temps, la Société biblique de Genève nous autorisait à utiliser leur texte biblique de Louis Segond 1975, appelée aussi Nouvelle Édition de Genève (NEG).

Quelques semaines plus tard, nous avons reçu un appel téléphonique annonçant qu’un homme d’affaires semblait intéressé à investir dans le projet. Avant de s’engager définitivement, il désirait rencontrer l’équipe pour obtenir plus d’information. Nous n’avons pas tardé à organiser ce rendez-vous providentiel avec cet homme d’affaires. Yvon Turcotte et Yolande son épouse étaient propriétaires d’un commerce de chauffage et de pompe thermique.

La rencontre eut lieu à notre résidence. Jack a d’abord expliqué les grandes lignes du projet, puis Germain a parlé de financement et des risques potentiels qu’ils avaient identifiés:
− « Il est toujours possible que le projet ne réussisse pas, mais c’est peu probable. Nous allons fournir l’expertise et toi les fonds. Nous n’avons ni argent, ni rien d’autre pour garantir le prêt. Si le projet réussit, tu seras remboursé et tu recevras un bonus pour ta participation. Si le projet échoue, tu perds ton investissement. »

Après s’être assuré que le livre serait un produit unique au monde, M. Turcotte a demandé :
− « Combien avez-vous besoin ? »
− « Environ cinquante mille dollars, mais par tranches, selon l’avancement des travaux. »
− « Je vais financer le projet », a déclaré M. Turcotte.
Nous avons remercié notre grand Dieu qui avait pourvu si rapidement à notre requête. La « Concordance » allait, enfin, pouvoir débuter officiellement.

La réalisation du plan nécessitait beaucoup d’autres rencontres et de discussions. C’était un travail de pionnier que toute l’équipe de spécialistes devait accomplir. À cette époque, l’ordinateur de l’Université de Sherbrooke était parmi les ordinateurs les plus puissants au Canada et il occupait une salle entière. Malgré cela, il n’avait même pas le centième de la puissance des micro-ordinateurs d’aujourd’hui. Ces derniers n’existaient pas non plus. Seul un terminal nous permettait de communiquer avec le processeur central. Un peu plus tard, on a muni ce terminal avec clavier et écran, d’un petit processeur interne et d’un lecteur de grandes disquettes magnétiques pour enregistrer les données et les transférer à l’ordinateur central. Le clavier d’origine ne possédant pas les caractères accentués français, on a dû acheter des touches spécialement codifiées. C’est dans ce contexte technologique et avec cet équipement d’avant-garde pour l’époque que nous avons entrepris de produire la première concordance complète en français au monde.

Nous avons embauché des personnes pour entrer tout le texte biblique au terminal. Après une double vérification et une correction finale, le texte biblique a été coupé en dix-neuf tranches, pour être en mesure de traiter chacune séparément par l’ordinateur central. C’était le maximum de données qui pouvait être traité d’un seul bloc. De plus, le travail devait se faire la nuit alors que personne d’autre n’utilisait le système.

Le texte biblique totalisant sept cent vingt-deux mille mots, trois cent quarante-sept mille termes significatifs furent retenus et trois cent soixante-quinze mille mots accessoires de la langue tels qu’articles, prépositions et autres furent écartés. L’étape suivante fut d’exclure manuellement certains mots accessoires qui ne pouvaient pas être éliminés automatiquement et de refaire certaines corrections. Ce travail s’est fait par terminal relié directement à l’ordinateur principal. Finalement, un dernier tri alphabétique a réuni les dix-neuf sections en une seule concordance, qui fut emmagasinée sur bande magnétique. Ce ruban a été expédié à Logidec inc. de Montréal pour la photocomposition du texte et de la mise en page, encore une fois à l’aide d’un ordinateur. L’entrée, les vérifications, et les corrections multiples du texte biblique ont nécessité mille cinq cent cinquante heures de travail à une équipe de six personnes qualifiées.

Pendant ce temps, nous réfléchissions à la manière de distribuer ce gros volume de mille pages format lettre (A4). Comme il devait être unique dans le monde francophone, nous savions que la demande pour cet ouvrage serait grande. Les auteurs avaient aussi la vision de produire, en français, d’autres instruments d’étude biblique qui faisaient tellement défaut dans ces années-là. Alors, il nous a semblé que la meilleure solution était de mettre sur pied une maison d’édition pour réaliser nos objectifs. Nous avons confié à Anita De Mers, épouse de Germain, la responsabilité de faire les démarches appropriées.

Le matin, avant son départ pour le travail, Germain et son épouse établissaient la liste des contacts téléphoniques qui devaient être faits durant la journée. Il fallait prendre des renseignements et/ou faire venir de la documentation sur les modes d’incorporation, les lois, les taxes, les retenues à la source, etc. Il y avait aussi les comptes bancaires commerciaux, les différentes monnaies, les taux de change, les modes de paiement, les exportations, la poste, les différents modes de transport, les produits d’emballage, etc. Le soir, quand les enfants étaient au lit, nous compilions toutes les informations recueillies dans la journée afin de prendre, chaque jour, les décisions appropriées et d’établir les prochaines étapes à suivre. Le lendemain, nous recommencions la même stratégie.

Après quelques semaines, les documents officiels du gouvernement fédéral attestant l’existence des DEQ en tant que maison d’édition incorporée et sans but lucratif nous sont parvenus. Puis, graduellement, nous avons obtenu des divers services les autorisations officielles requises pour exercer notre profession d’éditeur. Nous étions heureux d’avoir franchi cette nouvelle étape. Nous avons donné à la nouvelle compagnie une structure décentralisée et flexible. Chaque cellule accomplirait sa tâche à distance, dans son milieu, pour ensuite communiquer avec les autres cellules, selon les besoins. À l’époque, ce mode d’organisation était peu connu dans le monde des affaires, ce qui a donné certains problèmes avec les fournisseurs de services. Il s’est néanmoins avéré efficace pour gérer le développement de notre maison d’édition, en faisant économiser espace, temps et argent.

L’année 1979 tirait à sa fin quand nous avons reçu une copie d’évaluation de la concordance, photocomposée par ordinateur. Nous tenions enfin dans nos mains ce dont nous avions rêvé depuis longtemps. Après que chacun eut fait le tour de cette épreuve, donné son appréciation et suggéré des corrections, Logidec a produit la copie finale et complète de la concordance devant servir à l’impression des copies imprimées.

Neuf cent cinquante-neuf pages, format lettre (A4), sur trois colonnes de texte! C’était la première fois que nous pouvions consulter, dans une seule liste alphabétique, les dix-neuf sections informatiques avec lesquelles nous avions travaillé pendant les derniers mois. Nous recherchions parmi les trois cent quarante-sept mille mots qui nous venaient à l’esprit. On pouvait retrouver en dessous de chacun la liste complète de toutes les références bibliques, avec un bout de contexte pour chacune. On y indiquait aussi le nombre de fois que le mot français avait été utilisé dans toute la Bible. Nous étions fiers du travail accompli.

Nous nous sommes empressés d’aller porter ce précieux document chez l’imprimeur pour qu’il en fasse un premier tirage. Après l’imprimerie, tout le lot fut envoyé à un relieur professionnel qui, lui, ferait le travail à la main en utilisant une colle spéciale utilisée pour les livres de bibliothèque. Cette colle flexible permettait de garder le livre facilement ouvert et de ne pas être comestible par les insectes et les acariens, surtout dans les pays tropicaux. Les premières copies imprimées et reliées nous sont finalement parvenues au début du printemps. Il s’était écoulé près de cinq années entre les premières démarches faites auprès du Service informatique de l’Université de Sherbrooke jusqu’à la publication en 1980.

Simultanément à la production du livre, nous avons préparé de la publicité pour annoncer notre première mondiale. Anita De Mers, collaboratrice de la première heure, a acceptée d’être la responsable du service à la clientèle de la nouvelle maison d’édition. Après avoir quitté son poste d’infirmière en milieu hospitalier, elle s’est mise à la tâche dans ses nouvelles responsabilités. Une équipe de jeunes a été engagée pour préparer ces envois publicitaires. Il fallait insérer des feuillets dans les enveloppes, les cacheter, séparer les adresses par pays, les coller, etc. C’est ainsi que des milliers d’affiches et plus de trente-cinq mille dépliants publicitaires ont été expédiés à des gens et à des organismes ciblés à travers le monde, de tous les milieux religieux, y compris le Vatican.

Avec toute cette publicité expédiée à travers la planète, les commandes ne tardèrent pas à entrer. La première commande reçue provenait d’une librairie de Nouméa en Nouvelle-Calédonie. Nous nous sommes procuré une mappemonde pour visualiser la localisation exacte de ce client et de tous les autres qui suivraient par la suite.

Dans les mois qui ont suivi, des milliers de copies de la Concordance de la Bible se sont retrouvées dans plus de soixante-dix pays à travers le monde. L’imprimeur et le relieur ne suffisaient pas à la demande. Dès que les nouveaux stocks étaient fabriqués, ils repartaient aussitôt vers ceux et celles qui les attendaient. Un missionnaire a raconté l’anecdote suivante : une église africaine de deux mille membres avait commandé quatre concordances plusieurs mois auparavant. Lorsque le colis est enfin parvenu chez eux, la communauté a fait une fête pour célébrer l’événement. Certains colis expédiés par bateau, comme exemple en Polynésie française ou en Nouvelle-Calédonie, pouvaient prendre plus de dix mois pour parvenir à destination.

Le livre les Évangiles en parallèle fut publié exactement un an après la concordance. Depuis leur enfance, Anita et Germain étaient désireux de comparer les quatre évangiles pour voir les similitudes et les différences dans les récits. Anita s’était procuré plusieurs petites bibles, un gros classeur et un paquet de feuilles blanches pour monter les textes selon les besoins. Une colonne fut réservée pour chacun des quatre évangélistes. Chaque bloc découpé était collé là où il était le plus approprié. Une fois les textes des quatre évangiles mis en parallèle (d’où le titre du livre), le manuscrit fut composé et imprimé.

Jack Cochrane a toujours eu le désir de publier des ouvrages permettant à la Bible de s’expliquer d’elle-même, évitant ainsi l’interprétation humaine. Il a milité pour que les DEQ fassent sienne cette vision dans le choix des ouvrages à publier. C’est ainsi que les DEQ ont édité La Parole, un progiciel élaboré par Germain Chouinard. Elle fut la première Bible française informatique qui pouvait être recherchée entièrement sur ordinateur. La parution de ce logiciel allait tracer la voie à d’autres applications du même genre qui ont vu le jour, pour certains, grâce au texte biblique informatique produit par les DEQ.

Pour rendre la Concordance encore plus utile, nous avons entrepris le travail d’appariement des mots français aux mots originaux grecs du Nouveau Testament, par un système de numéros servant de liens entre eux. Cela a donné naissance aux Numéros Cochrane, version revue et corrigée de la numérotation de Strong. Une équipe de personnes, sous la supervision d’Anita De Mers, ont fait, pendant des mois, l’entrée des données sur des micro-ordinateurs IF800 que Germain avait programmés pour les besoins. Ce travail a conduit à la publication de l’ouvrage Concordance et index de la Bible : Tome 2, Nouveau Testament (1987).

C’est aussi au nom de ce principe de l’étude inductive que Jack Cochrane a produit le Survol du Nouveau Testament en tableaux, le Survol de l’Ancien Testament en tableaux et Comment faire le survol d’un livre de la Bible. Il est également l’auteur d’Initiation à la lecture et à l’analyse grammaticale de l’Ancien Testament hébreu et Initiation à la lecture du Nouveau Testament grec (grammaire incluse). Ces cours sont basés sur des principes modernes pour l’apprentissage des langues. Dans son livre Pour mieux comprendre la Bible, il expose comment le message biblique est véhiculé par les mots, la syntaxe et les figures de style usuels de la langue.

C’est plus de dix-huit années plus tard, en 1998, que les DEQ ont édité la deuxième édition de la Concordance de la Bible, dans laquelle chaque mot français a été associé, au moyen des Numéros Cochrane, aux mots originaux hébreux ou grecs. Cette nouvelle édition en deux volumes comportait trois concordances: une concordance des mots français dans un tome, une concordance des mots hébreux et une concordance des mots grecs dans un autre tome intitulé Concordances des mots hébreux et grecs de la Bible. Cette fois, tout le travail informatique de mise en page et de photocomposition a été réalisé sur micro-ordinateur par Germain Chouinard et une employée en informatique.

Jack voyait aussi le besoin d’un autre genre d’instrument : le regroupement des mots par thèmes bibliques et par catégories de sens, en plus du classement alphabétique habituel. Pour faire ce travail, il a dû analyser les trois cent quarante-sept mille mots de la concordance. Pendant que son confrère Germain Chouinard faisait la programmation, le traitement des données et la mise en page du contenant, Jack Cochrane travaillait au contenu. Le Dictionnaire des mots et des expressions de la Bible avec Index conceptuel répertorie plus de 11500 mots et expressions de la Bible Nouvelle Édition de Genève, 1979, chacun ayant au moins une définition et son regroupement dans l’Index conceptuel.

Jack Cochrane a aussi réalisé un grand projet qui lui tenait à cœur depuis longtemps, celui de produire un Dictionnaire grec-français du Nouveau Testament (2006) comportant les définitions de tous les sens de chaque mot grec du Nouveau Testament. C’est un ouvrage complémentaire aux concordances grâce aux Numéros Cochrane qui servent de liens entre eux.

Nous sommes heureux de pouvoir collaborer à ce grand ministère de l’édition. Souvent, nous étions impuissants devant les obstacles à surmonter. Mais, Dieu dirigeait et aplanissait les sentiers devant nous. Que toute la gloire Lui revienne!

Extrait avec adaptation du livre d’Anita De Mers
Mes pas sur la plage
Publié aux DEQ